Pour vous remercier de votre fidélité très appréciée je vous offre le premier chapitre de Fabuleuse Afrique,mon premier roman biographique paru sur Amazon.fr (kindle) .Très bonne lecture et super évasion !

Publié le par jeannick odier

L’Appel de l’Afrique et les débuts d’une nouvelle vie.

 Le DC 8 de la compagnie UTA amorçait lentement sa descente vers l’aéroport de Kinshasa capitale du Zaïre après un long vol depuis Paris. Je pris conscience à cet instant seulement que l’existence ardemment souhaitée de longue date allait enfin se matérialiser. En dépit du confort de la cabine, il m’avait été impossible de trouver le sommeil durant la nuit tant mon excitation était grande et tant mon imaginaire s’était pris à vagabonder. Mon rêve d’Afrique se réalisait, je parvenais à le concrétiser en dépit de bien des obstacles qui s’étaient amoncelés sur une route au tracé incertain mais je m’étais accrochée à ce projet car en mon for intérieur je savais que mon chemin de vie me destinait à ce continent de tous les dangers. Tout avait débuté dix ans auparavant lors d’un dimanche froid et pluvieux m’ayant contrainte à demeurer dans la maison familiale et à regarder Hatari, un film d’Howard Hawks diffusé à la télévision cet après-midi là. Il mettait en scène des acteurs prestigieux de l’âge d’or du cinéma Hollywoodien comme John Wayne dans le rôle principal et avait pour cadre les somptueuses étendues de savane du Kenya dont l’horizon reporté à l’infini donne une impression grandiose de liberté à l’individu. La vision de ces paysages extraordinaires eut alors un impact considérable et inattendu sur ma destinée car rien ne m’avait préparé à envisager de partir m’installer en Afrique. En effet, jeune étudiante à la Faculté de droit de Paris, tout me conduisait à épouser les contours et les règles non écrites d’un classique environnement bourgeois. L’éducation parentale sévère reçue durant la tendre enfance et l’adolescence m’aurait inexorablement fait adopter une existence confortable certes mais inévitablement contraignante et monotone dans un monde de plus en plus compétitif et laissant peu de place au rêve. Combien de discussions avais-je eu à ce sujet avec de charmants amis de la Faculté qui ne percevaient dans mon projet qu’un vague caprice de jeune bourgeoise en mal d’aventure. Ils me voyaient soit enseigner soit exercer au sein d’un cabinet d’avocats à Paris évidemment et faire carrière grâce à un mari influent, selon le schéma de l’époque. Pourtant les événements de mai 1968 qui m’avaient conduite sur les barricades du quartier latin auraient pu m’inciter à me révolter contre les diktats de la société bourgeoise mais il n’en fut rien car j’avais participé à cette contestation estudiantine par solidarité avec mes condisciples et aussi par curiosité davantage que par conviction politique. L’idéologie révolutionnaire défendue alors se référait surtout aux thèses d’Ernesto Che Guevara, compagnon de lutte de Fidel Castro à Cuba, et de Mao Dzé Dong en Chine communiste. Puis tout était rentré dans l’ordre durant l’été et les examens avaient été reportés de juin à septembre. La vie avait alors repris son cours mais à la Faculté les professeurs ne portaient plus la toge. Depuis la vision du film Hatari, l’Afrique occupait toutes mes pensées et je lisais tous les livres et revues qui évoquaient ce continent tellement méconnu en France en dépit de notre présence à l’époque coloniale puis plus tard dans le contexte de conflits armés ayant déchiré bien des États mais il me fallait la connaitre en profondeur et c’est pourquoi je décidais de suivre les cours du prestigieux professeur Michel Alliot. Il avait exercé longtemps ses fonctions au Sénégal et à Madagascar.Très vite je compris que je ne m’étais pas trompée dans mon choix car un véritable intérêt se développa au fil des cours auxquels j’assistais d’abord par obligation puis par la suite pour ne rien manquer des innombrables expériences que ce sympathique et motivant maitre ne cessait de narrer devant un auditoire conquis et admiratif ! Plus tard, il m'aida à obtenir un poste de Coopérant car c'était difficile à l’époque. En effet, l’Administration était réticente à envoyer sur le terrain des femmes jugées trop jeunes pour résister aux multiples tentations et dangers d’une vie en Afrique. Ainsi j’acquis les connaissances indispensables pour toute personne voulant s’installer dans cette partie du monde et développai rapidement une passion incontrôlable. Mon père s’en inquiéta d’ailleurs et me demanda un soir si je comptais aller piler le mil et vivre dans une hutte au milieu d’une tribu de sorciers ! Beaucoup de français percevaient l’Afrique de cette façon, selon une image négative renvoyée par les médias. J’étais étonnée de constater que même les plus brillants esprits se permettaient des jugements péremptoires sur certains sujets sans même s’être rendus sur le terrain et il m’arrivait de me fâcher d’une telle attitude aussi sectaire qu’illogique. Pourtant je demeurais insensible aux remarques et pressions tant elles me semblaient dérisoires à coté de cet idéal que je m’étais forgée au fil des années et m’accrochais à mon projet dont la réalisation me semblait désormais inéluctable. De nombreux psychologues ont souvent évoqué la puissance de l’imaginaire dans leurs écrits comme dans leurs discours et à mon sens c’est à bon escient car l’être humain ne serait pas grand-chose sans cette force intérieure qui le conduit souvent à dépasser ses limites et à s’extraire d’un monde réel qui ne lui convient plus. Mais le destin me fit un clin d’œil lorsqu’un an plus tard en Doctorat, un nouveau professeur fit irruption dans ma vie estudiantine. C’était un personnage haut en couleurs et qui détonnait sur ses condisciples car son parcours avait été jusqu’alors bien différent. En effet, ancien militaire détaché auprès des services spéciaux et en charge de son service Action, Pierre Dabezies dirigeait depuis peu un séminaire consacré aux questions de défense et plus par curiosité que par intérêt pour ces problèmes je décidai de m’y inscrire afin de finaliser mes études universitaires. Son autorité naturelle, sa pédagogie particulière et son incroyable charisme avaient très vite conquis son auditoire et les filles étaient sous le charme. Je ne faisais pas exception et lorsqu’il me demanda de préparer un exposé sur les armées africaines, j’acceptais avec joie. Ce fut un véritable succès puis par la suite il accepta de diriger ma thèse de doctorat sur l’ancien Congo belge et usa de toute son influence avec Michel Alliot pour me faire obtenir un poste auprès de l’université nationale du Zaïre. Tous ces souvenirs rejaillissaient maintenant que l’avion roulait à faible allure sur le tarmac de l’aéroport de N’jili mais j’étais attendue et je devais soigner mon apparence ! Aussi je remis de l’ordre dans ma longue chevelure blonde, me remaquillai soigneusement, ôtai le gilet qui m’avait protégée des effets pernicieux de la climatisation. En tailleur de coton bleu ciel, j’étais prête à affronter le regard scrutateur de l’attaché culturel de l’Ambassade de France venu m’attendre selon les usages diplomatiques en vigueur. Déjà le chef de cabine invitait les passagers à récupérer leurs effets personnels déposés depuis la veille dans les coffres à bagages et à quitter l’appareil par la porte avant. Mon cœur battait la chamade car je me demandais ce que j’allais réellement découvrir et si je n’allais pas connaître la déception après avoir ardemment attendu ce moment. Très rapidement la raison l’emporta sur la confusion émotive car je touchais au but et c’est moi seule qui avais désiré partir sur cette terre lointaine : désormais j’allais devoir assumer toutes les conséquences de mon choix. Dès ma sortie de l’avion et malgré l’heure matinale, je me sentis happée par la moiteur ambiante, typique des pays exotiques. Ce fut comme une chape de plomb qui s’abattit sur mes épaules tandis que je me dirigeais vers la porte des arrivées de l’aéroport. Aussitôt l’Attaché culturel s’avança vers moi et formula les classiques mots de bienvenue. s formalités de police furent rapidement accomplies et nous sortîmes de l’aéroport trempés de sueur car la climatisation était probablement en panne.Une fois installée dans la voiture qui s’éloignait des bâtiments de l’aérogare et roulait à vive allure en direction de la ville je pris conscience que le défi le plus difficile de ma jeune existence allait commencer même si je ressentais une incroyable fierté à être parvenue à accomplir mon rêve d’adolescente. Pour la première fois j’allais être séparée longtemps de ma famille et je revoyais les yeux embués de larmes de ma mère tout comme le visage triste de mon père venus m’accompagner à l’aéroport lors de mon départ. Pourquoi faut-il faire de la peine aux êtres qui vous sont chers lorsqu’on est conduit à s’éloigner pour réaliser son idéal ? C’est probablement toute la singularité et toute l’inexorabilité de la condition humaine. A mesure que je voyais le paysage assez rébarbatif des maisons délabrées défiler des deux cotés de la route , je songeais à tout ce que j’avais décidé d’abandonner de ma vie en France et je me sentis curieusement envahie d’une vague de tristesse indicible même en sachant que je reviendrai passer les fêtes de fin d’année ainsi que les grandes vacances dans ma famille et que je donnerai régulièrement de mes nouvelles. Un barrage de policiers nous contraignit à nous ranger sur le bas coté de la route et après une vérification sommaire de nos passeports nous pûmes repartir. Le diplomate m’expliqua qu’il avait glissé un billet dans le sien selon la coutume en vigueur de longue date dans le pays. Au bout d’une heure de conduite chaotique du fait de nombreuses ornières non réparées qui jonchaient le parcours, nous arrivâmes en vue des premiers bâtiments de la ville construits aux normes européennes, donc belges et françaises. Tout de suite la majestueuse avenue du 30 juin bordée d’arbres et d’immeubles modernes fit son apparition et je me sentis transportée de joie à la vue de cette végétation luxuriante qui enveloppait les murs de ces belles habitations, banques, magasins de luxe et hôtels affichant tous leurs pimpantes façades. L’attaché culturel,qui avait été  peu loquace se tourna légèrement vers moi et me dit::  - Vous savez Mademoiselle Dorval, malgré les dangers de cette ville, il est très agréable de vivre à Kinshasa. Ma femme qui était très réticente au début de notre installation ici regrette de devoir retourner en France dans quelques mois car je vais retourner au Quai d’Orsay. Je rétorquais : - Je n’en doute pas sinon je ne serais pas venue ici. Puis la voiture s’arrêta dans la cour de l’Ambassade et après de rapides présentations débutèrent les inévitables et fastidieuses formalités administratives typiques de la France, impossible d’y échapper même à l’étranger. Le personnel s’efforça de faire preuve d’amabilité malgré l’étonnement à peine dissimulé de voir une belle jeune femme s’installer seule dans un pays à peine sorti d’une effroyable guerre civile. Il avait été prévu que je loge dans un premier temps dans le grand appartement de l’attaché commercial, jeune célibataire, car il me revenait de choisir parmi diverses structures sélectionnées mais il me fallait les visiter auparavant et cela risquait de prendre un certain temps : j’étais désormais en Afrique et ici la course contre la montre n’existait pas. Dans les semaines qui suivirent mon arrivée au Zaïre, j’eus la chance d’être introduite dans le cercle diplomatique basé à Kinshasa, ce qui me permit de faire la connaissance de personnes intéressantes qu’il m’eut été impossible de croiser sans ces innombrables cocktails, réceptions et diners auxquels je fus conviée. Étant jeune je me sentais très flattée d’évoluer dans un monde aussi élégant car durant mon adolescence les mondanités avaient été réduites à leur plus simple expression par mon père qui détestait les gens superficiels et guindés. Certes je découvris par la suite l’hypocrisie courtoise de ce milieu qui avait ses propres règles auxquelles il convenait de se soumettre si on souhaitait en faire partie et surtout s’y maintenir. Je m’efforçai d’adopter une attitude positive car il était évident que la fréquentation de ce fort séduisant milieu cosmopolite et élitiste me permettrait d’accéder à une vie très intéressante et me faciliterait mes contacts futurs avec les hauts responsables du pays. C’est ainsi que je pus rencontrer à plusieurs reprises le dynamique et fort sympathique Ambassadeur de France qui m’accorda la faveur de pouvoir accéder à une grande et belle villa dotée d’une piscine, alors qu’un appartement aurait du m’échoir comme c’était le cas pour mes collègues de la coopération culturelle. Inévitablement, la nouvelle se répandit à très grande vitesse dans le landerneau des expatriés français et suscita de nombreuses rumeurs et jalousies. En effet la plupart des gens estimaient qu’un tel cadeau n’avait pu être obtenu sans contrepartie évidente. Scandalisée au départ par de telles médisances, je compris plus tard que l’être humain a très souvent une propension naturelle à critiquer et à jalouser que ce qu’il envie profondément mais ne peut obtenir. Ma grand-mère paternelle avait coutume de dire qu’on n’est sali que par la boue et que la meilleure conduite à tenir dans ce type de situation est l’indifférence. Elle avait raison évidemment mais cette première expérience d’hostilité à l’étranger de la part de compatriotes, qui m’avaient témoigné jusqu’alors plutôt de la sympathie, me blessa énormément puis modifia mon comportement. En effet mon attitude ouverte et altruiste se mua en une attitude élitiste, excluant d’emblée toute personne envieuse, frustrée et donc négative. Ce fut là ma première leçon de vie en société qu’il me fut donné d’acquérir en Afrique car jusqu’alors j’avais mené une vie bien réglée entre ma famille très protectrice quoique sévère et de longues études dans un environnement intellectuel et relativement égalitariste. Je pris alors la décision de sélectionner rigoureusement les personnes que j’envisageais de fréquenter en ne m’entourant que de personnes dotées d’une grande ouverture d’esprit ,ce qui m’éviterait les comportements mesquins et favoriserait la vie indépendante, confortable et originale que j’avais choisi de mener. Dès la fin de ma première semaine zaïroise je pus somme toute dresser un bilan extrêmement positif de mon installation. En effet j’étais très satisfaite de la villa que j’allais occuper durant plusieurs années. La piscine aux dimensions hollywoodiennes traçait un rectangle bleu au milieu d’un très beau parc et de majestueux palmiers en ombrageaient les pourtours, apportant une fraîcheur bienvenue aux heures les plus chaudes de la journée sous ce climat équatorial. Pedro, le boy d’origine angolaise, chargé par l’Ambassade de veiller au bon fonctionnement quotidien m’avait accueilli avec une extrême gentillesse et un large sourire typique des africains mais avait marqué un moment d’étonnement lorsque je lui avais annoncé que j’occuperai seule les lieux .Auparavant la villa avait été habitée par une famille belge de trois enfants particulièrement turbulents. Très vite l’entente devint parfaite entre nous car il appréciait tout particulièrement ma venue le matin dans l’immense cuisine aménagée à l’américaine. Une sorte de complicité respectueuse naquit rapidement et nous bavardions souvent ensemble de certains aléas de la vie au quotidien à Kinshasa. Ainsi j’appris l’existence d’un marché aux voleurs basé sur le boulevard du 30 juin qui exposait tous les objets dérobés aux habitants de la ville. Il suffisait de remettre la somme d’argent négociée entre le vendeur et l’acheteur pour récupérer l’objet ou le document d’identité volé. Je trouvais cette coutume à la fois amusante et bien pratique car elle évitait de se rendre au Commissariat afin de remplir un formulaire après une longue attente et pour un résultat souvent négatif. De même il m’informa de l’existence d’un marché noir allouant le double de monnaie locale en échange de devises étrangères, en particulier les dollars américains qui semblaient particulièrement recherchés. Personne parmi les expatriés ne m’avait encore avisé de tout cela et mon instinct me poussa à écouter surtout les autochtones qui n’étaient pas avares de bons tuyaux si on savait les récompenser à leur juste valeur. Décidemment ma nouvelle vie commençait sous d’excellents auspices et après avoir réussi mon installation matérielle, l’heure était venue de m’occuper sérieusement de ma prise de fonctions officielles : celle de professeur à l’Université nationale du Zaïre. Quelle fierté d’être parvenue à la première phase de mon projet mais je ne pouvais alors imaginer un seul instant qu’une série d’événements allait bouleverser ma vie de fond en comble et que le schéma bien théorique envisagé au départ allait voler en éclats. Au volant de la Ford Capri que je venais d’acquérir je me sentais nerveuse en dépit du magnifique paysage qui défilait à travers le pare-brise nettoyé avec soin par Pedro aux lueurs de l’aube. L’heure de vérité professionnelle approchait car je devais rencontrer ce matin là le Doyen de la Faculté de droit afin de prendre connaissance des cours que j’allais dispenser aux étudiants.Très vite j’aperçus les bâtiments universitaires puis celui de la Faculté dont les murs blancs renvoyaient les rayons d’un soleil déjà bien présent malgré l’heure matinale. Après avoir franchi le gigantesque portique, un appariteur me salua et me guida vers un fauteuil un peu défraichi situé devant le bureau du Doyen. Après une attente d’une bonne heure, ce qui est très raisonnable en Afrique, la porte s’ouvrit sur un homme de petite taille en costume gris clair à manches courtes, arborant un large sourire et dont les yeux protégés par d’épaisses lunettes exprimaient à la fois une franche cordialité et une vive intelligence. Il alla ouvrir la porte d’un réfrigérateur dont le bruit indiquait que son opérationnalité tirait à sa fin et me proposa de l’eau minérale et du jus d’orange. Je déclinai aussitôt cette aimable proposition car je venais de prendre un copieux petit déjeuner avec un grand verre d’oranges pressées par Pedro. Puis il revint s’asseoir derrière son bureau , prit un dossier contenant de nombreuses fiches et après avoir feuilleté plusieurs pages en extirpa une qui visiblement me concernait puisqu’il m’annonça en me fixant droit dans les yeux les cours que le Département de droit public avait décidé de me confier. Il s’agissait de celui de droit constitutionnel en première année, cours très prestigieux et fort demandé, et de celui de droit international public en troisième année. Quelle chance c’était pour un jeune professeur de se voir octroyer de tels cours car jamais je n’aurais eu de semblables responsabilités en France au même âge. Une immense fierté mêlée de joie me submergea alors tandis que le Doyen commençait à m’expliquer la façon dont mon travail allait se mettre en place. Lorsqu’ il m’apprit l’air un peu gêné que j’allais partager le cours de droit constitutionnel avec le Président de la Cour Suprême, le Professeur Lihau Kanza qui se réservait les institutions zaïroises, je m’empressais d’acquiescer mais ne pouvais m’empêcher de penser qu’en France jamais un universitaire n’aurait accepté semblable proposition. Les universitaires aiment généralement avoir l’entière responsabilité d’un cours et si celui-ci est trop volumineux on peut envisager de le transformer en cours semestriel, mais alors plusieurs réunions du département concerné et l’assentiment des autorités. Mais à présent c’étaient les coutumes africaines qui s’imposaient et je me dis que je devrais à l’avenir cesser de faire continuellement une comparaison avec les valeurs européennes qui avaient gouverné mon enfance et mon adolescence. Certes mes repères, mes fondamentaux demeuraient et c’était bien là toute la force d’une éducation réussie mais j’étais en Afrique et il me fallait en tirer toutes les conséquences. Quand il ajouta avec un sourire un peu forcé que les étudiants étaient nombreux, selon le souhait du Président zaïrois d’avoir une jeunesse mieux formée que par le passé, que l’amphithéâtre n’était pas climatisé , que les étudiants n’étaient pas habitués à avoir une femme étrangère comme professeur et enfin que des représentants de la police politique assisteraient à mes cours, je sentis une onde glacée parcourir ma colonne vertébrale en dépit de la moiteur ambiante. Avec le cours de droit international je totalisais donc six heures d’enseignement par semaine, ce qui me satisfaisait pleinement car j’allais disposer d’un temps libre appréciable. Puis il évoqua les excellents rapports qu’il entretenait avec mon ancien professeur Michel Alliot et m’assura qu’il mettrait à ma disposition ses relations universitaires et politiques pour m’aider à préparer ma thèse de Doctorat. En me raccompagnant à la porte de son bureau et avec un très large sourire cette fois il ajouta l’air malicieux que mes cours ne commenceraient pas avant un mois ! Je repris ma voiture, heureusement climatisée car la température extérieure avoisinait déjà les 35 degrés et il n’était que 10 heures du matin ! Sur la route du retour qui serpentait entre les collines verdoyantes je songeais à la chance que j’avais d’obtenir de tels cours et un pareil délai pour en assurer la préparation. Pourtant j’éprouvais un singulier sentiment de culpabilité à l’idée d’être rétribuée sans travailler. Du jamais vu ! Lorsque j’en parlai le lendemain au conseiller culturel de l’Ambassade de France il me dit : - Vous n’avez qu’à en profiter pour visiter la ville et ses environs ! Plus sérieusement il m’assura de son aide pour obtenir des contacts avec les milieux militaires et les personnalités ayant joué un rôle de premier plan lors des événements ayant bouleversé ce territoire durant les années ayant suivi la sécession du Katanga, riche région minière de l’ancien Congo belge dirigée alors par Moise Tschombé. Ce pays s’appelait désormais Zaïre depuis le 27 octobre 1971. En effet dès l’indépendance proclamée le 30 juin 1960 cet immense pays avait connu les affres de cinq longues années de guerre civile, mutineries et rébellions selon les régions. Il avait fallu attendre le 24 novembre 1965 pour qu’un coup d’arrêt soit porté à cette période de troubles sanglants lorsque le Lieutenant-Général Mobutu Sese Seko avait pris le pouvoir à la tête du Haut Commandement militaire à Léopoldville. Neuf ans après, l’ordre régnait dans le pays ainsi que dans la capitale rebaptisée Kinshasa, grâce à la nouvelle politique d’authenticité et l’aide économique comme financière des grandes puissances impliquées alors dans le conflit notamment les États Unis, la Belgique, la France et l’Afrique du Sud. De nombreux européens installés dans la capitale m’avaient confié, au fil des conversations nouées lors des cocktails et diners diplomatiques auxquels j’avais été conviée, que l’envergure du nouveau Président, son désir d’ouverture sur le monde ainsi que le réalisme de sa politique avaient rétabli non seulement la paix à l’intérieur du pays mais aussi un ordre et une sécurité dans la vie quotidienne des résidents étrangers comme des nationaux. s talents oratoires de Mobutu, capable de discourir sans notes durant des heures dans des stades contenant des milliers de personnes, avaient aussi contribué à lui conférer une autorité incontestée. Pourtant ses incessants rappels à la poursuite du combat contre l’impérialisme qui rassuraient les zaïrois, laissaient planer en permanence un voile d’une indéfinissable incertitude pour les étrangers même installés de longue date dans le pays et habitués à toutes sortes d’écarts de langage, de gesticulations relevant surtout d’une stratégie intelligente visant à calmer les esprits les plus contestataires. C’est que le Zaïre était un pays immense quasi ingouvernable du fait de l’existence d’un nombre impressionnant d’ethnies aux intérêts divergents et certaines régions comme le Katanga étaient dotées de colossales richesses minières, ce qui suscitait bien des convoitises étrangères et bien des tentations séparatistes. C’est pourquoi le Président devait maintenir d’une main de fer son autorité et entreprendre de fréquents déplacements sur toute l’étendue du territoire car maîtriser l’immensité devenait jour après jour un véritable défi. J’eus l’occasion de vérifier par la suite la véracité comme l’importance de ce constat et cela me fut d’une grande utilité pour la rédaction de ma thèse car rien ne vaut la confrontation sur le terrain des théories développées par des intellectuels de haut niveau entre les quatre murs d’un bureau. Quelques semaines après mon entretien avec le Doyen de la Faculté de droit, je débutai mon premier cours dans un amphithéâtre rempli de jeunes et dynamiques étudiants et je ressentis le trac de l’acteur de théâtre lorsqu’il fait face aux spectateurs : des centaines de paires d’yeux me fixèrent dans un silence impressionnant avec une curiosité mêlée de sympathie mais je me sentis détaillée des pieds à la tête. Après quelques mots de bienvenue et un sourire un peu figé, je commençai à évoquer la notion d’État, essentielle en doit constitutionnel, mais peu connue sur ce continent en proie à de continuels déchirements entre tribus et ethnies et dont l’avenir restait bien incertain. Très vite j’eus l’impression que mon élocution et ma présentation semblaient convenir car les bavardages avaient cessé et les étudiants prenaient des notes sur les cahiers qu’ils avaient ouverts sur leurs tables. C’est ainsi que ma vie professionnelle démarra vraiment : dans une université africaine ! Un an auparavant, tout en préparant mes diplômes de relations internationales et d’études politiques de défense j’avais été recrutée par le Doyen de la faculté de droit de Paris I pour lui préparer son intervention sur le droit de la mer dans le cadre d’un groupe consultatif onusien. Étant trop occupé par ses fonctions, il n’avait hélas plus guère le temps de se consacrer à ses recherches sur le droit international maritime. Or il tenait à conserver sa notoriété acquise à l’étranger et les relations étroites qu’il avait su édifier au fil des années en apportant une contribution appréciée dans ce domaine. Quand je lui fis part en juin de mon intention de partir enseigner en Afrique, il me fixa de son regard froid, incrédule, tant dans son esprit il était évident que j’allais continuer à travailler pour lui comme Assistante d’État-major. Mais ma volonté de rompre avec un tel schéma préétabli ainsi qu’un fort désir d’aventure dans des contrées ensoleillées l’avaient emporté sur toute autre considération. Il ne me manifesta cependant aucune rancune compte tenu de ma franchise et du travail sérieux accompli durant cette année passée avec lui. A mesure que ma voiture s’éloignait du campus universitaire je revis tous ces événements qui avaient précédé mon départ. Ici un autre monde s’ouvrait à moi avec des opportunités impensables en Europe. En effet, plusieurs mois après le début de mes cours, le chef de la section de droit public de la Faculté me proposa d’aller effectuer des missions dans les pays voisins. J’acceptai avec joie ravie de tenter de nouvelles expériences et surtout de rompre avec une routine plaisante qui commençait à s’installer. J’avais toujours aimé les voyages. Depuis mon plus jeune âge mon père m’avait initiée pendant mes multiples congés scolaires à des déplacements dans les grandes capitales européennes comme Londres, Bruxelles, Amsterdam, Rome et Vienne en particulier. En effet ma mère n’aimait guère les voyages et mon père détestait sortir seul surtout à l’étranger quand il avait fini de traiter ses affaires. Grâce à lui, je connus les plus beaux hôtels et restaurants des capitales européennes ainsi que certains cabarets qu’il appelait pudiquement des Music-halls, ce qui m’amusait beaucoup. J’avais également envie de rire quand il rectifiât d un ton sec les dires d’un serveur m’ayant appelée Madame avec un sourire entendu. Tout cela était si loin maintenant et je souris en moi-même alors que j’amorçai le dernier tournant de la route fraichement goudronnée menant quelque centaines de mètres plus loin à ma villa. Aussitôt qu’il vit la voiture, Pedro ouvrit le portail et j’allai la mettre au garage afin qu’elle ne prenne pas le soleil qui dardait ses rayons chauds à cette heure de la mi-journée. Il vint à ma rencontre souriant comme à l’accoutumée et toujours sanglé dans son costume équatorial blanc, prit d’autorité mon attaché case et gravit avec moi l’escalier qui menait au grand living room dont les grandes fenêtres situées à l’arrière donnaient sur l’immense jardin et la piscine. Tout on fond on apercevait le fleuve Zaïre dont les eaux s’écoulaient lentement mais inexorablement. J’appréciais d’aller me détendre et nager lorsque je revenais de mes cours car en même temps je ressentais une détente et un bien être fantastiques. Une fois dans l’eau je pouvais contempler le merveilleux paysage des massifs de fleurs entourant la villa et entendre le bruissement des feuilles des palmiers qui entouraient la piscine. Déjà Pedro arrivait pour m’annoncer que le déjeuner était prêt et qu’il avait préparé le couvert sur la table de la terrasse. Ce jour là il avait préparé un avocat aux crevettes ainsi qu’un filet de capitaine, savoureux et tendre poisson de la région, avec du riz relevé grâce à une délicieuse sauce au poivre vert. Au déjeuner le dessert était invariablement un fruit du pays : ananas en pirogue, papaye et mangue découpées en dés : un vrai régal diététique ! Les après-midis étant généralement chauds en Afrique, j’avais demandé au Doyen de placer si possible mes cours le matin, ce qu’il m’avait accordé de bonne grâce car la plupart de mes collègues n’ai aimaient pas se lever de bonne heure. Ainsi je pouvais prendre tout mon temps, faire une sieste, lire, préparer mes cours et ma thèse mais aussi me reposer en vue d’une soirée mouvementée qui se terminait le plus souvent aux lueurs de l’aube. Étant rattachée au service culturel de l’Ambassade de France, j’étais invitée à de nombreux évènements mondains et très rapidement j’eus l’occasion de nouer des relations intéressantes avec des expatriés de toutes nationalités pour mon plus grand plaisir car j’avais développé un esprit cosmopolite depuis mes études universitaires à Paris qui m’avaient permis de côtoyer des étudiants en provenance des quatre coins du monde et cette ambiance m’avait plu d’emblée. Les hommes qui m’étaient présentés étaient pour la plupart d’entre eux des célibataires géographiques ce qui signifiait qu’il s’agissait de personnes mariées dont les épouses étaient restées au pays soit pour des raisons professionnelles soit parce qu’elles ne souhaitaient pas résider au Zaïre, persuadées que le pays était toujours extrêmement dangereux. La tentation était très grande pour eux d’envisager une sorte de liaison temporaire mais ce type d’arrangement ne me convenait guère car je souhaitais rencontrer un homme libre de toute attache et qui saurait respecter mon indépendance. Pourtant je connaissais une personne à l’Ambassade qui n’avait pas hésité à envisager ce genre de relations lorsqu’au bout d’une année passée sans homme elle avait fini par considérer cette solution bancale comme un moindre mal. Les occasions de se distraire étaient nombreuses car beaucoup d’expatriés disposaient de grandes villas, de moyens confortables et d’une domesticité leur permettant de donner dans leurs grands jardins de somptueuses soirées dansantes ou des diners à thème. Ainsi il n’était pas rare qu’une centaine d’invités de toutes nationalités se retrouvent pour festoyer, danser et discuter jusqu’au petit matin. Je découvrais avec ravissement à quel point une ambiance cosmopolite donne une autre dimension à la meilleure des soirées ne rassemblant que des nationaux. Le champagne coulait à flots en Afrique pour ce type d’évènement mais seules les cuvées de prestige des grandes marques françaises étaient présentes car si les invités venaient surtout pour se divertir, rien ne les empêchait de porter un jugement sur le niveau de la bacchanale et des talents des invitants à l’organiser. Généralement le bar était bien pourvu en alcools et beaucoup d’hommes s’y retrouvaient entre deux danses pour bavarder un verre à la main et tenter de retrouver leur souffle. Sur les tables juponnées et fleuries disposées sur les terrasses formant de magnifiques buffets, on retrouvait immanquablement les classiques mets raffinés comme le foie gras, le caviar, les gambas, les salades de homard, les charcuteries finement tranchées, les merveilleux poissons du pays comme le capitaine, le gigot d’agneau aux divers légumes sans parler des fromages français rapportés de voyages récents ou achetés à prix d’or dans les boutiques de luxe de Kinshasa. Les desserts se composaient de gâteaux, de crèmes et de fruits frais artistiquement présentés. Les personnes entrainées dans le tourbillon des mondanités kinoises finissaient par regarder d’un air blasé ces très beaux buffets ou même à espacer leur venue à ces fêtes, sauf obligation majeure, tellement elles étaient assurées de ce qu’elles allaient y trouver. Pour les expatriés récemment arrivés, il en allait autrement. Quelle joie c’était de se retrouver en plein hiver européen dans un magnifique jardin aux essences tropicales, de déguster autour de la piscine de savoureux plats et de danser sur les derniers airs à la mode. En effet ce type de soirée avait toujours lieu en extérieur vu le nombre d’invités et personne ne songeait à s’en plaindre. En effet, une brise bienfaisante chassait les moiteurs de la journée et permettait aux danseurs de se rafraichir, d’autant plus que les villas abritant ces festivités se trouvaient dans les quartiers chics de Binza et Parc Hembise situés sur les hauteurs de la ville. Très rapidement je découvris l’arme secrète des piliers mondains de Kinshasa : la sieste ! Jamais je n’avais songé à dormir ou me reposer l’après-midi quand je passais mes vacances au bord de la mer en France ou à l’étranger. Ici c’était une obligation pour qui ne voulait pas s’endormir sur le coup des onze heures du soir car la chaleur épuise insidieusement l’individu et multiplie les effets de l’alcool. Je l’avais découvert à mes dépends lors d’un diner donné par des amis de l’Ambassade de France à la fin duquel j’avais failli m’écrouler sur la table n’en pouvant plus de lutter contre le sommeil qui m’avait gagnée suite à un mélange d’alcools et de chaleur ambiante. Mais dans la journée aussi ce terrible cocktail pouvait s’avérer des plus désastreux pour tout négociateur d’affaires, réduisant considérablement ses capacités. Une amie canadienne rencontrée lors d’une réception m’avait raconté l’anecdote ayant fait le tour de la ville d’un américain venu signer un important contrat avec la Présidence. Au déjeuner ayant bu plus que de raison et encouragé par ses venu signer interlocuteurs qui remplissaient sans cesse son verre, il avait fini par accepter des clauses désavantageuses pour sa société en apposant sa signature sur le document. Il lui avait été impossible de demander l’annulation de ce contrat car il aurait été contraint d’avouer son ébriété ! En Afrique comme dans les pays exotiques, faire la sieste après le déjeuner n’impliquait pas obligatoirement de dormir mais signifiait le repos en lieu climatisé et de préférence en position allongée. Au début de mon séjour j’avais été très amusée d’entendre parler de cette coutume mais par la suite j’en devins une fervente adepte car je comptais parmi les meilleures noctambules de la capitale. C’est au cours d’une de ces grandes soirées rythmant l’agenda mondain des expatriés que je rencontrai Gunther et à partir de ce moment là, aussi loin que je me souvienne, ma vie bascula de fond en comble, jetant aux oubliettes les vieux schémas ayant jalonné mon adolescence bourgeoise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Publié dans Fabuleuse Afrique, Livres

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